Minute de gloire pour un cancre!

Boutons d’amour

Attention, ce n’est pas un débat sur le statut du cancre. D’ailleurs sur quels critères se fonde-t-on pour désigner des individus comme étant des cancres?

Je l’ignore, pour moi, ce n’est qu’un mot, associé à une image, celle que l’on se fait de la définition. Bref, éviter de m’épencher au risque de passer dans la catégorie dont je veux vous parler.

C’est juste une anecdote pour sortir du lit un matin de Saint Valentin.

Nous sommes en 1974, l’éducation pour tous est déjà le mot d’ordre dans tout le pays. Mais dans certains villages, les mentalités ont du mal à placer les filles sur le même plan que les garçons.

Inutile d’investir dans l’éducation d’une fille, elle est faite pour se marier, partir dans une autre famille, pas rentable.

Les filles qui ont la chance de se faire scolariser, ont déjà passé l’âge classique de pré apprentissage. Ce fût le cas de Gégé.  Gégé était déjà aussi grande que Marie José Perek lorsque ses parents l’ont inscrite à l’école. Environ quatorze ans, je suis gentille. peut être plus. Si bien que au bout d’efforts insurmontables de la part des instituteurs, Gégé arrive en classe de CM2.

Gégé est très motivée, elle désire apprendre, mais entre l’alphabet, qu’elle maitrise à peine, les calculs, la puberté, les garçons et les devoirs, elle a du mal. En classe elle est placée au dernier rang.

A l’arrivée des inspecteurs ou d’un autre instituteur dans la classe, Gégé n’a pas besoin de se lever. Assise, elle avait la même taille que les enfants scolarisés à âge normal.

Voilà, nous avions notre Gégé, doyenne de la classe de CM2  que je fréquentais.

Au début, l’instituteur pour l’encourager, l’interrogeait avant tout le monde, mais la plupart des réponses de Gégé étaient hors sujet. Petit à petit, on l’oublia, on l’ignora, elle n’existait plus. Sa présence au fond semblait virtuelle, immatérielle.

Gégé, ne faisait plus d’effort non plus. Elle s’était résignée. Elle ne savait pas, Elle ne savait rien, elle n’était pas là. Elle assistait, passive aux échanges de ses petits camarades de classe avec l’instituteur.

Jusqu’au jour où nous abordâmes le sujet de la puberté et ses effets secondaires. Ce jour là, Gégé, était toute excitée et nous, curieux d’apprendre des choses avec elle. Une sorte de coach en quelque sorte.

Le cours demarre comme d’habitude, mais tous étions assis à l’oblique, la têtes tournées vers l’arrière comme pour un défilé militaire (je ne sais plus de quel pays mais ils défilent en biais), au point d’en avoir des torticolis.

L’instituteur aborde le sujet de l’acnée. Nous avions tous compris qu’il s’agissait de l’acnée, avant même qu’il ne nous demande d’ouvrir les livres à la page….

Un doigt se faufilait déjà à l’horizon. Surprise générale: aucune question n’avait été posée.

« Oui Gégé, as- tu quelque chose à demander? »

« Rien Monsieur ».

« Bon commençons ».

Le cour reprend. Gégé se tortille sur son banc; On se demande si elle a des puces ou alors une envie pressante. Vint enfin le moment fatidique.

Nous tournons la page, sur les conseils de l’instituteur: un  visage d’adolescent couvert de boutons. Monsieur Damas pointe sa règle comme pour désigner l’élève à interroger.

« Moi monsieur, moi monsieur, moi monsieur »

et claque, claque, claque, ce sont les doigts de Gégé, tel un chef d’orchestre qui bat la mesure…

Elle claque du doigt, être très grande ne suffit plus, on l’avait si longtemps oubliée, ignorée qu’elle pensait utile de faire du bruit pour signaler sa présence.

Gégé était debout. Elle avait déployé son mètre soixante quatorze. Monsieur Damas ne pouvait pas la manquer. Elle était debout, volontaire, désireuse de partager son savoir.

« Toi, gégé ».

Ouf, enfin, pour une fois qu’elle sait, et qu’elle est sûre de sa réponse…

A la question : comment définissez vous les boutons qui couvrent le visage de ce jeune homme?

Nous retenons tous notre souffle, pendus aux lèvres de Gégé.

Et la réponse tombe:

« Des boutons d’amour, Monsieur! »

Un silence lourd s’en suivit. Trop surpris pour rire, ou pour la huer, la classe était comme sonnée, Monsieur Damas aussi.

Cette réponse innattendue le laissait sans voix, sujet au désespoir de l’instituteur qui voulait donner sa chance à un Gégé complétement déphasée.

« des boutons d’amour, des boutons d »amour », tu faisais tout ce rémue ménage pour ça? »

« Des boutons d’amour, nous sommes à un cours de science, pas une discussion entre filles. La prochaine fois, reste tranquille dans ton coin et écoute plutôt ceux qui savent. »

La pauvre Gégé a abandonné à la fin de l’année scolaire pour attendre patiemment que quelqu’un vienne la demander en mariage. Et ils eurent des enfants pour qui Gégé n’est pas un cancre, mais une mère aimante, attentionnée, grande agricultrice avec une belle réussite dans la culture d’aubergine.

(A la Saint Valentin, ne laissez pas des boutons d’amour envahir votre visage, pensez à faire un soin maison: masque raffermissant avec blanc doeuf mélangé à de la farine de sarrazin, laisser reposer 10 minutes puis rincer).

Lire LE CANCRE de Prévert

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges

Il y a aussi ce blog dédié aux cancres.

http://www.cancres.com/?page_id=76

2 commentaires

  1. Aratta dit :

    Oups, pardon, écrire avec un poignet bandé n’est pas facile ;)

    Je disais donc que je trouvais la réponse de gégé très mignonne, et que pour être une personne gentille pas besoin d’être première en classe. D’ailleurs, les têtes de classe ne sont souvent pas agréables!

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