Retour à la maison!

Un adage dit: « Le séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau ne le transformera jamais en caïman. »

Africaine de naissance, française d’adoption,  je n’ai pas eu besoin de m’intégrer; je l’étais avant même de venir ici. Cependant, je reste africaine dans mon coeur. C’est pour cela que je ne tourne pas le dos à mes racines, à mes traditions.

Si vous avez suivi les événements qui nous ont frappés depuis le vingt huit novembre 2010, vous savez comment une centenaire a défié la mort.

Nul n’est éternel! C’est vrai, mais si les bombardements ne les avaient pas contraints à se priver, à ne se contenter que d’une cuillère de riz par jour. A vivre le calvaire pendant trois mois (le temps qu’a duré le conflit), elle serait peut être encore quelques mois, voire un an avec nous. Elle serait partie paisiblement retrouver les siens.

Hélàs, l’homme propose et Dieu dispose.

Le week end dernier, nous avons tenu à lui rendre un dernier hommage, de façon traditionnelle et moderne.

Chez nous, on ne pleure pas une centenaire, on l’accompagne à sa dernière demeure dans la joie et l’allégresse. C’est ce que nous avons fait avec le noyau familial ici, et quelques amis qui sont venus nous soutenir. C’est le moins que nous pouvons faire pour adoucir sa route.

Un bref compte rendu de la situation pour dire combien cette réunion nous a tous replongés dans nos racines, combien cet instant nous a séché de larmes: La tante Tchéhigninon vivait enfin tranquille, depuis la crise de 2002 avec son fils à la capitale.  Fin 2010, un nuage se dessine à nouveau à l’horizon. Une pluie de bombe s’abat sur la ville. Des gens bien intentionnés (convaincus d’oeuvrer pour le bien de la population, créent des blocus: banques fermées, transferts d’argent supprimés, terreurs à l’ordre du jour. Bref. Tchéhigninon n’a pas survécu à celle là. Villages brûlés à l’ouest. Dans le sien, il ne reste plus de trois maisons, dont la sienne réduite de moitié. Des méssagers ont été envoyés au Libéria. Son frère de 70 ans, et quelques cousins sont revenus, bravant les risques, pour désherber ce qui reste du village avant l’arrivée de sa dépouille. Trente personnes, les plus courageux, l’accompagnent jusque chez elle. Ils dormiront, c’est sûr, à la belle étoile.

Le week end du 11 était à la fête. Nous avons invité un musicien de la région, qui heureusement pour nous, chante aussi. Accompagné de deux de ses collègues, ils ont assuré l’animation jusqu’à l’aube.

Mais avant de partager avec vous quelques minis vidéos, je vous invite à écouter John Denver et à visionner cette petite vidéo réalisée à un festival de Country l’année dernière?

Le temps est au rire et à la joie… alors, ne vous privez pas.

Take me home

 Little country dancer (take me home)

Veillée comme chez nous

http://www.wat.tv/video/veillee-funebre-3tvrh_3tvql_.html

http://www.wat.tv/video/veillee-funebre-3tvsv_3tvql_.html

Une centenaire qui défie la mort.

Même pas peur!!

Un autre coup de fils est venu s’ajouter à la routine de l’après guerre.

Toujours pareil. La mort rode partout. Mais pour une fois, j’ai souri. J’ai souri parce que c’est ma tante. Celle qui nous faisait rire: enfants, neveux, nièces, petits enfants.

La dernière fois que je l’ai vu en 2007, elle avait encore toute sa tête, sauf par moment, où elle confondait enfants, soeurs et nièces. Son dernier message à son fils, mon cousin? Il faut que je retrouve cette vidéo.

Elle disait combien elle avait horreur des morgues. Oui, elle  prévoyait sa fin. Elle nous mettait tous en garde contre cette éventualité. Elle menaçait de hanter nos nuits jusqu’à la fin de nos jours si jamais on osait la mettre en conservation à la morgue. Elle est frileuse vous savez, alors « surtout pas vos maisons de glace » menaçait elle.

J’ai souri en repensant à ses paroles. Et de savoir que la famille est désespérement à la recherche d’une morgue pour la conserver. Guerre oblige, tout est saturé. Et ma pauvre tante pourrait se retourner dans son sommeil éternel si elle savait ce qui se tramait.

Elle a défié la mort. Je vais vous dire pourquoi. Il y a une semaine, je m’inquiétais pour elle, pour tous les autres aussi mais surtout pour elle. Embargo, manque de soins, faim, trois mois de privation. Des combats à proximité de chez mon cousin. Des balles perdues sémant la mort et la désolation autour d’eux. Ils ont survécu avec une ration de un kilo de riz par jour pour vingt personnes. Chez les voisins des corps ont tenu compagnie aux vivants pendant des semaines.

Ma tante a tenu le choc.

Il y a deux jours ma soeur m’a dit qu’elle savait ce qui l’avait aidé.

« elle ne voulait pas mourir comme une chienne sans sépulcure, elle voulait être enterrée dignement, voilà pourquoi elle a attendu ». Elle a attendu deux jours après leur « résurrection » pour rendre l’âme, pour aller réjoindre ses ancêtres. Elle a connu une guerre jeune, elle tire sa révérance avec une autre.

Elle a préféré mourir dignement. Pour la morgue, je crois que nos nuits seront un peu hantées car, cet après midi, ma soeur m’a dit qu’ils recherchaient activement une morgue pour la conserver ne serait ce que deux ou trois jours, le temps d’organiser l’enterrement.

Désolée ma tante, tu auras un peu froid pendant quelques jours. Ne nous en veut pas. Et bonne route à toi. Bravo pour ton courage. Et honte à ceux qui ton gâché la fin de ta vie.

Et une petite pensée pour mon père qui va enterrer sa soeur, loin de chez elle, loin de la maison qu’elle a bâti avec son époux. Elle sera enterrée ailleurs et lui la regardera partir sans avoir la force de tenir sur ses jambes. Il l’accompagnera par la pensée. C’est tout ce qu’il aura la force et le droit de faire. Je suis plus attristée pour lui.

Mais nous n’avons pas le choix. C’est ainsi.