Barbare moi?

Il arrive ce qui devait arriver!

A l’ouest quelques membres de ma famille restent cloitrés chez eux. Les rebelles ont pris Zouan Houen, Bangolo, Ils sont cernés et en sursis. J’ignore jusqu’à quand ils pourront tenir. Si ce n’est pas sous les balles perdus ou des coups de coupe coupe, ce sera la faim qui les achèvera. A moins que Dieu existe pour tous.

On parle de barbarie, de dictature. Mais ce que j’ai du mal à comprendre, c’est qui est barbare?

Moi peut être?

Il y a deux jours, j’ai envoyé des SMS à mes amis et ma nièce. Aucune réponse. J’ai compris deux jours plus tard que les SMS étaient désormais suspendus en Côte d’Ivoire. Les banques sont fermées. Donc mes parents, dont j’ai la charge, ne mangeront plus en attendant d’être achevés par des individus armés non identifiés.

C’est moi la barbare???

La violence des attaques est telle que les populations fuient pour trouver réfuge auprès de leurs familles dans d’autres arrondissements de la capitale.

Hier mon portable a sonné? Numéro inconnu. Qui c’était? Une amie de lycée, perdu de vue depuis vingt ans. Elle voulait me donner des nouvelles du pays?

Je perçois la peur dans son silence et sa volonté soudaine de me retrouver. ce qui est contradictioire, c’est qu’elle est tout de même allée travailler. Elle m’a dit :

« on y peut rien, on n’a pas le choix »

Nous sommes barbares???

J’aimerais comprendre. Je le suis peut être sans le savoir.

Ce soir ma soeur m’a appelée elle aussi. Elle m’a dit qu’il se rapprochent. Ils ? Les individus armés non identifiés.

Et nous sommes des barbares.

Au delà de sa voix, je sens une immense tristesse.

Mais je n’y peux rien. Je suis barbare.

La communication a été intérrompue. Depuis j’essaie de la joindre sans succès. Les lignes sont saturées.

Et à côté, on me presse de venir partager les pistaches. J’y ai renoncé. Maintenant c’est à table. Les enfants s’en sont chargé heureusement.

Je vous laisse. La barbare revient à sa réalité d’ici.

Ne rien voir, ne rien entendre, sanctionner!

La gadou tellement compacte! Mais nous avançons comme des moutons de panurge.

Quand rien ne va, il faut sanctionner. Mais qui? Où sont les incendiaires? Où sont les criminels?

Impossible de départager tout ce monde; aucune importance, nous avons la gadou qui gène la vue. Nous ne voyons que ce que nous voulons voir. Pour le reste, nous fermons les yeux.

Cela ravive mes souvenirs de pensionnat. Où pour désamorcer les tensions entre diverses bandes de filles, Soeur Colette avait fait référence à un conte. Celui d’une famille de hérissons, jadis heureuse de vivre ensemble, qui a failli éclater à cause de petites guerres intestines.

Les hérissons sont un peu comme les fourmis, ils ont l’habitude de vivre ensemble, l’éducation de chaque enfant hérisson est assurée par toute la communauté. Ils sont solidaires, mais un jour, certains des hérissons se sont plaints de travailler plus que d’autres, de gagner moins que d’autres, d’avoir un emplacement moins intéressant que d’autres.

Chez les hérissons, plus rien ne va. Le chef hérisson réalisa très vite que sa communauté allait à la dérive. Il a eu la brillante idée de rassembler ses frères hérissons, au lieu de faire appel au lion, roi de la forêt, pour règler les problèmes internes.

A l’assemblée de hérissons qui l’écoutait avec révérence, il a simplement dit ceci.

« Mes chers frères, nous sommes des hérissons, nos problèmes de hérissons restent des problèmes de hérissons. Le lion ne pourrait comprendre vos difficultés comme je le fais. Nous avons toujours su vivre paisiblement ensemble. Si aujourd’hui certains commencent à montrer d’autres hérissons du doigt, c’est simplement que nous sommes las de vivre les uns sur les autres. Lorsqu’on commence par voir ou sentir les pics sur le dos d’un autre hérisson, cela signifie qu’une crise s’amorce, pour le désamorcer, la meilleure solution, c’est de se retirer pour méditer; Les retrouvailles n’en seront que plus intenses. Une séparation de quelques jours ou quelques semaines peut faire un grand bien à la communauté. »

Les hérissons présents à l’assemblée acquiescèrent, puis se dispersèrent. Plus tard, ils se retrouvèrent pour rire de leurs bêtises et leurs querelles sans réels fondement. Le lion qui passait par là, fût déçu de constater que les hérissons s’étaient réconciliés et qu’ils étaient à nouveau heureux de vivre ensemble.

Rugissant de colère et de jalousie, il déclara:

« ils auraient du me consulter. j’aurais réduit les plus récalcitrants au silence d’un seul coup de pattes et de mâchoire, c’est la meilleure solution pour régler les problèmes avec mes frères »

Voilà, elle peut paraître un peu simpliste mais elle a le mérite de fonctionner. Elle réjoint le conseil qui dit qu’il vaut mieux laver son linge sale en famille. Devant un juge, il peut arriver que certains soient plus éloquents que d’autres ou qu’ils aient un meilleur avocat. Le résultat n’est pas toujours conforme aux faits.

Pour ceux qui suivent les faits depuis le bras de fer Gbagbo-Alassane, il est bon de savoir que des domiciles de policiers sont mis à sac ou incendiés. à abidjan ou partout ailleurs dans le pays. Ils ne font pas la une alors que nous lisons régulièrement ce que subissent les autres.

A Grand Bassam, un commissaire a échappé de justesse à une expédition punitive et ce n’est pas un cas isolés. Beaucoup ont péri depuis. Mais ceux là personne n’en parle, comme si c’étaient des chiens perdus. Tout comme en 2004, cette montagne de cadavres déssechés, recouvert par des baches, pendant la tournée des arbitres du monde. Ces morts n’ont jamais été soulignées dans aucun discours, aucun rapport. Nettoyez la gadou qui vous aveugle et faites ce qui est juste.

S’ils sont tous coupables de crimes, n’acclamez pas l’un au profit de l’autre. Ne soyez pas le lion qui baillonne les plus faibles.

Soyez impartiaux et ayez la sagesse de reconnaître de part et d’autres les méfaits qui ont été perpétrés contre le peuple.

La gadou, ce n’est pas du béton, ça se nettoie, si l’on a envie de voir. Sauf si l’on veut faire l’avocat du diable.

Bonne journée!