Dernier exode

Deux appels de mon frère. Je ne l’ai pas appellé depuis les derniers caprices de sa femme. Ils avaient leur chance, Madame ne voulait pas partir…

Aujourd’hui ils ont la mort aux fesses. les combats sont rudes à cinq minutes de leur habitation. Mais ils fuient plutôt les exactions. Mère et enfants sont partis d’un côté, mon frère de l’autre, qui joue à Jack Bower. Depuis deux jours il ne dort plus deux fois de suite au même endroit, et n’a aucune chance de quitter la zone où il vit.

J’ai pu lui dire tout le mal que je pensais de lui et sa femme. et ça m’a soulagée.

Par contre, cela ne dit pas où trouver ma mère, mes trois neveux et ma belle soeur que je déteste de plus en plus.

Il ne me reste plus qu’à prier. Prier afin qu’ils trouvent un endroit où se cacher.

Pendant ce temps, le pays est à nouveau à la Une des médias. Je vous l’avais dit. Beaucoup de sang, beaucoup de morts, beaucoup de viol (autre arme de guerre), et vous êtes sûre de faire la Une.

Sauf que depuis toujours, nous citoyens d’ici, ignorons que pendant que toutes ces forces marchent sur le palais présidentiel, on ne vous montre pas la pauvre maman qui prend la fuite avec ses petits enfants dont un de six mois.

Ce n’est pas grave. Ce sont des animaux, ils peuvent se faire égorger, parce qu’ils sont de l’ouest. Violer une adolescente de 11 ans qui fuit au Libéria avec sa tante, pour en échange, leur laisser la vie sauve, ça aussi ce n’est pas grave. Ce ne sont que des descendants d’animaux.

On peut tout leur faire subir, cela aussi n’est pas grave. Ils ne peuvent pas souffrir, ce ne sont pas des êtres humains qui vaillent la peine que l’on parle d’eux, ils n’ont pas besoin dêtre protégés ceux là, ce sont des animaux sauvages. Lorsque vous les égorgez, ce n’est pas du sang qui coule de leur veine. Personne ne les pleurera.

Mais demain la démocratie s’instaurera par la force, on aura tout oublié, les vainqueurs crieront victoire, les maîtres seront satisfaits et les chiens n’auront plus qu’à venir au pied.

Une démocratie au gôut amer. Espérons que demain, les gentils ne deviendront pas des Khadaffi, qu’il faudra bombarder en masse!!!

Quelle démocratie!

Offensive généralisée à l’ouest : l’exode continue

Quelques bonnes nouvelles temporaires  :

Le groupe parti de l’ouest, après un long périple, est arrivé à la capitale retrouver mon père. Maintenant ils sont à la recherche d’un endroit plus sûr où se réfugier.

Eh oui! ils en sont arrivés à être des réfugiés dans leur propre pays. Et Obama, Juppé et les autres continuent de clamer que ce n’est pas assez. Il faut intervenir comme en Lybie, bombarder s’il le faut. C’est pour le bien du peuple ivoirien!!!

Les gens meurent par manque de soins, ils meurent de faim, mais ce n’est pas assez. Il faut asseoir la démocratie, leur démocratie en côte d’ivoire. Il faut armer Goliath, Il faut massacrer de pauvres innocents, c’est pour la bonne cause.

La bonne cause de qui au fait?

De mon père, de tous ces gens qui ont servi sous le drapeau français et qui ont été remerciés comme mon père l’a été. Il ne peut toucher sa retraite depuis plus de quatre mois parce que des têtes bien pensantes ont décidé de leur sort ainsi que de celui de leurs familles.

Je reviens souvent à ma famille. Je vis leur réalité, je peux prouver, justifier, mais  ma plume parle aussi pour tous ceux dans le même cas qui n’ont pas d’ordinateur, ni internet.

Revenons donc à ma famille.

Partis tard dans l’après midi de jeudi, ils n’ont pas pu traverser Duékoué. Ils ont été obligés de dormir dans une scierie, à la belle étoile, à l’entrée de la ville. Lorsque j’ai pu leur parler le lendemain, ils étaient loin de duékoué. Epuisés, ça s’entendait à la voix.

Ma belle mère m’a dit:

Nous avons faim, mais ce n’est rien. Par contre nous étions morts de trouille. Comment dormir dehors, dans une scierie, à l’entrée d’une ville occupée par ceux que vous fuyez?

Hier, c’était la réunion familiale pour décider de la destination prochaine.

Dans la fuite, il y en a une qui a décidé de partir vers le sud ouest. Mauvais calcul. après un moment de colère, j’ai fini par être plus compréhensive. Elle a 75 ans.  Ce n’est pas sa faute. Nous aurions voulu la faire revenir vers la capitale mais, ne connaissant pas la ville, accompagnée de quatre enfants jamais venus en ville, c’est trop risqué.

Et puis elle a répondu :

« Je ne bouge plus d’ici. Si les rebelles attaquent (et ça ne devrait pas tarder), ils ne nous tueront pas tous. Il y a sûrement des survivants, je suis épuisée, malade, alors je reste là.

Mes nièces s’ont arrivées saines et sauves à leur destination temporaire, après deux jours de voyage, dans un village qu’ils ne connaissaissent pas, avec des gens qui ont bien voulu les recueillir.

Et tout ça au nom de la démocratie. Une démocratie qui compte les morts d’un camp et pas ceux de l’autre, une démocratie qui reste aveugle alors que la capitale se vide, que les commandos ou autres sévissent, une démocratie qui est à sens unique.

Ma meilleure amie me disait hier, désespérée, que les rebelles, je parle des vrais rebelles, sont installés dans la concession de son père. Tous ses biens spolliés. Elle a enterré son père il y a six mois. Et elle est outrée d’apprendre qu’ils ont ouvert la chambre du défunt (ce qui ne se fait pas avant la date anniversaire de sa mort).

J’ai fait du mieux que j’ai pu pour la réconforter.

Le pire c’est que au dire des locataires (une partie de la concession était en location), les rebelles ont décreté qu’ils sont les nouveaux propriétaires et que à la fin de la guerre, il faudra que la famille de mon amie rachète la concession. Mais tout ça c’est normal, Osbama peut fustiger le peuple ivoirien, ils peut les menacer de réprésailles, ce ne sera pas pire que ce qu’ils vivent maintenant.

Pour finir,  ma journée a très mal démarré. Ma mère, mon frère et sa famille. Alors que nous avons trouvé un tansporteur, un endroit où se réfugier,  remplit le réservoir du transporteur, ma belle soeur a décidé qu’elle ne part avec eux. Raison de se révirement, elle ne connait pas l’endroit. Bon j’avais oublié qu’elle avait un pied à terre quelque part ou qu’elle organisait un voyage d’agrément.

J’étais histérique au téléphone. Du coup j’ai dit à mon frère de divorcer ou de rester pour attendre les rebelles avec elle. J’ai menacé ma mère de faire comme eux puisqu’elle ne veut pas se séparer de son fils ni de ses petits enfants.

Je les adore mais voilà deux semaines que nous cherchons une solution. Et voilà qu’elle nous balance 30 euros (le prix du carburant). lls auraient pu survivre avec cette somme pendant deux semaines en temps de guerre.

Ce soir, ils en sont à chercher la famille de ma belle soeur parce qu’ils se sentent responsables d’elle.

Moi je suis peut être égoïste et sans coeur, mais quand on a dépensé énormément d’argent en téléphone et en mandat pour les sauver, quand madame se débine le matin du départ, il y a de quoi perdre le nord.

S’ils se font rattraper par la généralisation des conflits, je m’efforcerai de ne pas avoir de remords.

Bonne soirée à tous.

Ouest ivoirien : des milliers d’ivoiriens fuient les combats

Ce que la presse en dit :

Des milliers d’ivoiriens fuient les zones de combat

Communiqué de Guillaume Soro

Soro appelle à l’assaut sur Guiglo

Je vous laisse faire la revue de presse vous même. Ce que je souhaite préciser c’est que lorsque vous entendrez parler de Toulépleu, de Péhé, de Blolékin, de Doké, ayez une petite pensée pour ceux qui ont fuit, pour ceux qui ont perdu tout ce qui pouvait rester de leurs misérables vie. Ces grands parents de 70 ou 80 ans, qui ont bravé les dangesr de la forêt, pour échapper aux massacres sans nom.

Ayez une pensée pour ces villages de parfois 300 habitants seulement où l’on ne fait aucun cadeau sous prétexte qu’ils abritent des « rebelles » ou des mercenaires.

A l’heure où je vous parle, j’ai fait un deal sur ma facture de téléphone. Pourquoi?

Simplement parce que ça va me coûter énormément, ça me coûte déjà énormément.

Pourquoi?

Pour faire mes statistiques à moi. Je citerai les villages, au risque de me faire passer pour une rebelle ou un mercenaire.

Kambli : village natal de mon père. Mon oncle, 85 ans, a fuit pour la seconde fois vers le Libéria. Et il n’est pas le seul. Mon demi frère, a fuit vers guiglo, pour rester avec sa famille, la mienne. Et je ne cite que ceux là.

Toulépleu, où je suis née, il n’y a plus rien. tout a été détruit. Pour les membres de la famille élargie que je ne fréquentais plus, nous n’avons pas cherché à savoir.

A Péhé, je sais qu’il y a eu beaucoup de morts. Une autre partie de ma famille est là. Ma grand mère, la mère de ma mère est née là. Mon arrière grand père est entérré là, son caveau est juste devant chez lui. Cette maison où j’ai grandi, les champs où j’ai couru petite, les rivières où j’ai pêché. Plus rien ne sera comme avant; plus rien ne l’était déjà depuis 2002.

Aux dernières nouvelles, plusieurs morts,  je n » ai même pas demandé qui,  l’histoire se répète, on affirme qu’il y a des rebelles, que les cadres de la région sont tous mercenaires, on ne fait pas de cadeau. La poplution est obligée de fuir ses terres pour échapper aux massacres. Ils savent comment ça se passe.

Mého a connu le même sort. Puis BLolékin?

Tuambly: chez ma mère, parce qu’elle est née là. Son père vient de là. Un village que vous visitez en  cinq minutes. Détruit. Perte en hommes et matériel, pour ce que les pauvres villageois ont en matériel.

Tinhou a connu le même sort.

ma cousine a pu tracer son père grâce au portable. Fuite vers le libéria: âge, 76 ans. et il n’est pas le seul dans cette situation.

Aujourd’hui, on crie à l’assaut de Guiglo. Guiglo c’est la ville où s’est installée une partie de ma famille depuis la retraire de mon père et la guerre de 2002. Mon père : 85 ans. Malade, à la capitale depuis plusieurs mois pour se faire soigner; sa famille, la mienne, bloquée  parce que les tirs ont démarré le jour où j’ai transféré de l’argent pour leur permettre de survivre temporairement, étant donné que mon père, ainsi que des milliers d’autres fonctionnaires à la retraite, ne peuvent plus rien faire pour leur familles: les banques et les bureaux de paiement sont fermés. Embargo oblige.

Hier encore nous en étions à chercher un moyen pour les faire partir de là avant l’assaut. En attendant, ils sont terrés chez eux. Pour ceux là, je ne donnerai pas trop de détails. Je n’ai pas envie que leur domicile soit pris pour cible sous prétexte qu’ils sont mercenaires à la solde du président sortant.

J’ai la migraine. Mon cerveau doit tourner au rythme d’un logiciel. Parce que un humain comme moi, n’est pas à même de penser, d’organiser, d’occulter, de consoler, de pleurer.

Oh j’ai dit que je ne pleurerais pas, que je suis blindée cette fois. J’ai failli à la règle hier matin. Lorsque ma soeur a appellé en pleur.

Le dilemme, c’est une de nos tantes a proposé d’en aider quelques uns. Elle s’est engagée à payer leurs billets pour fuir vers le sud ouest. Le problème c’est que de deux de mes demi frères, elle n’a choisi que le plus jeune. L’aîné suppliait ma soeur d’intervenir en sa faveur afin qu’on ne l’abandonne pas à Guiglo.

Il a fini par gagner. Il est parmi ceux qui ont quitté la ville. Les autres sont restés en attendant que je trouve une solution.

L’assaut de Guiglo ne devrait pas les trouver là. Ce serait fatal.

Voilà ce que je pense de tout ceci.

Je ne suis pas journaliste. Je ne suis pas mercenaire. Je dis ma réalité à moi. Et ce n’est pas calqué sur les autres, pour faire plaisir aux autres. Ma réalité c’est des hommes, des femmes, des enfants, bientôt morts, peut être survivront ils, qui vivent la vraie situation, pas celle qui justifie une intervention militaire étrangère ou pas.

Un de mes frères, parti vers l’est depuis lundi. Jusqu’à ce jour, nous sommes en attente de son appel.

Bonne journée.