ABOUTOU ROOTS

Le monde évolue, la globalisation guette dans tous les domaines, y compris la musique.
Aboutou Roots tend à faire comme tout le monde pour continuer d’exister. Même si leur musique n’est plus l’image de la Côte d’IVoire que j’appréciais, je continue de les aimer.
Après Tito  et  Mon pays, les voici en train de courtiser le reggae
 
Amusez vous bien!
 

Recherche enjoliveur désespérément!

Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous…

Août 2007 Willykean s’en va en zone post guerre, apporter de l’aide à ses frères et soeurs du « FAR WEST ». C’est l’ouest de la Côte d’Ivoire, nous l’avons surnommé le Far West parce que c’est une zone enclavée, loin de tout, on pourrait même dire coupée du monde.

Beaucoup de massacres, passés sous silence, des gens, à qui on a taillé des manches courtes (comprenez amputés de l’avant bras ou du bras entier, par les rebelles), d’autres, ceux qui ont eu la « chance », brûlés vifs, je dis qu’ils ont eu la chance parce que même morts d’une mort atroce, ils ne sont plus de ce monde pour vivre avec le souvenir de ces tortures…

Bref, nous avons créé une association, je vous en parlerai ici un jour. En 2007 donc, je pars en vacances et je décide de faire d’une pierre deux coups. Je n’avais pas vu mes parents rescapés depuis sept ans. Et je suis fermement décidée à rapporter des médicaments collectés ici pour les dispensaires de là bas.

Nous prenons la route. Je ne crains rien. Dans mon élan pour aider les autres, j’avais oublié que même quand la guerre est finie, en zone de guerre, c’est toujours la guerre. Le chauffeur qui nous emmène connaît la zone, il est originaire du centre ouest.

Premier contrôle: La carte d’identité de mon cousin n’est pas conforme, selon le soldat à qui nous avons à faire. Quelques minutes de pourparler et confrontation de procédés plus tard, nous reprenons la route.

Encore un contrôle: cette fois il s’agit de moi. Mon passeport est conforme mais le soldat voulait que je lui indique où était le visa. Il n’en avait jamais vu, ce fameux visa, le sésame qui ouvre toutes les portes d’entrée au paradis « fictif », la France.

Encore un contrôle, puis un autre, et encore un autre…; J’en ai compté 18. Tous assez conviviaux. Mon père, ancien de la Marine Française, nous servait de laisser passer en fait. C’est bien d’avoir des gens comme lui, rejetés par la France, admirés par ceux à qui il n’a pas servi.

Nous arrivons dans la première ville du FAR WEST. La ville où réside mon père. Nous passons la nuit à la maison, en famille. Ils sont tous heureux de me revoir, après sept ans d’absence, période de guerre, tous ont envie de me toucher, de me raconter, de pleurer, de danser. Mais mon esprit surfe vers ceux qui sont vivants mais qui n’ont pas la chance de recevoir des soins comme ma famille. Nous discutons du programme de la journée du lendemain.

Départ à 7 h pour la tournée des villages. Mais vous n’ignorez pas que chez nous, le temps n’est pas compté. En fait de 7 heures, nous avons pris la route à 10 heures, après de bonnes assiettes de riz et soupe de cabri. C’est le petit déjeuner.

Nous roulons vers l’inconnu c’est chez moi, mais c’est aussi la zone la plus dangereuse. Je n’avais pour seule protection que mon cousin de 55 ans, mon père de 85 ans, et le chauffeur. Première escale dans le village de ma mère. Nous visitons la maternité et le dispensaire, je fais un don de médicaments, un stétoscope et un tensiomètre, une goutte d’eau dans la mer.

Etape suivante, Toulépleu, ma ville natale. Nous rencontrons le conseil régional. Il délègue son adjoint pour nous escorter jusque dans un autre village à quelques kilomètres de là. Ce Monsieur, très sympatique nous fait le récit détaillé de son exode, avec sa famille et son singe, pendant toute la période de guerre. Nous avons pu voir preuve à l’appui, les endroits précis où certains étaient exécutés, les maisons brûlées avec des habitants parqués à l’intérieur, comment certains étaient mis en morceaux.

Ma mère, traumatisée par tout ce qu’elle avait vécu, même encore aujourd’hui, commence à marmoner des paroles inintelligibles, en fait elle récitait ses prières et moi je commençais à me rendre compte de mon insouscience.

Tout peut arriver dans ces  zones. Des rebelles encore armés, qui attaquent les populations ponctuellement…

18 heures

Ma mère décide que nous allons passer la nuit dans sa famille et reprendre la route le lendemain matin. Mon père décrète que nous continuons coûte que coûte. Un rapport de force s’engage entre les deux comme toujours.

Quel rapport avec l’enjoliveur?

 Eh bien j’y viens

Nous reprenons donc le chemin de retour. Il fait nuit, Oui le soleil se couche là bas, mais très vite. Dans la nuit noire, nous roulons. C’est un silence de mort dans la voiture. Dans le silence, ma mère et moi, communiquons par la prière. Je l’entends marmoniner le « notre père » et moi, « je vous salue marie ». ça peut aider quand on a peur.

Dans notre communion solennelle avec Dieu et sa mère, soudain un bruit sec. Un grand coup de frein. Nos têtes font un aller retour. La voiture s’arrête, en plein milieu de nul part. Dans le noir total. J’entends mon coeur battre, il bat si  fort que je l’entends dans ma tête. Ma mère a joint les mains, à fond dans sa prière: depuis qu’elle est catholique, elle ne jure que par Dieu le père. Moi je guette dans les bois tout mouvement suspect. Cinq individus livrés à eux mêmes sur une route déserte et pas éclairée d’ancienne zone de guerre.

On attend; il ne se passe rien. Le chauffeur, cherche, il cherchait sa lampe torche. Il descend de voiture, je me demande ce qu’il fait. Il a sans doute perdu la tête. Vous savez, dans de pareilles circonstances, je crois même que j’aurais accepté qu’il fasse son pipi dans la voiture, pourvu qu’il nous emmène loin de la zone.

Le chauffeur descend avec une nonchalance à vous faire perdre votre sang froid. Il longe d’abord l’orée de la brousse à gauche, puis à droite. Mon père ouvre la portière, et descend à son tour, suivi par mon cousin, nous restons seules dans la voiture, toutes portières ouvertes.

Ma mère les maudit, elle maudit tous les hommes et mon père en particulier.

« tu vois, ma fille, je ne suis pas morte en période de guerre, mais c’est ton père qui va me faire tuer ici, sur la route. Tu comprends pourquoi nous avons divorcé, tu vois pourquoi nous ne pouvions nous entendre, il est têtu, il aime dominer, il n’écoute personne même quand il a tort…. » et j’en passe.

Tous les ressentiments refont surface. Toutes les rancoeurs sont prêtes à nous exploser à la face.

Au bout d’un moment, je finis par leur demander ce que nous faisions là, au milieu de la route, dans la nuit noire, les portières ouvertes à toutes agressions. Mais enfin, c’est une invitation au meurtre.

 » Nous cherchons l’enjoliveur »

« quoi? »,

« l’enjoliveur, il faut que je le retrouve »

« Combien il coûte votre enjoliveur? »

« 4500 Cfa ( environ 7,5 €! »

« Tout ça pour ça. 7,5€! Nous risquons de nous  faire tuer pour 7,5€! Ecoutez, remontez en voiture, et partons vite d’ici. Je vous paierai un supplément pour votre enjoliveur. Je veux rentrer entière auprès de mes enfants qui m’attendent en France »

Nous avions couru ces risques inutiles pour un enjoliveur de 7,5 € alors que la location de la voiture avec chauffeur s’élevait à  60 € par jour plus l’hébergement du chauffeur et ses repas.

On peut dire que dans certaines circonstances, les valeurs ne sont pas les mêmes. Je suis revenue saine et sauve, mes parents ont été plus fâchés que jamais, pour deux jours avant réconciliation. J’ai enfin pu passer quelques moments de bonheur avec les miens avant de reprendre la route pour Abidjan. Si c’était à refaire, je le referais. Avec des enjoliveurs de réserve au cas où.

Et je continue d’apporter mon aide à la population même si désormais on nous interdit les collectes de médicaments.

Autre lecture en rapport avec la zone du Far West: La guerre par Procuration

 La Guerre par procuration II